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15 mai 2006 1 15 /05 /mai /2006 21:08
     

    Après les interférences notamment britanniques, françaises et américaines en Irak depuis un siècle, après la dictature jacobine de Saddam Hussein, ce jeune état se cherche un avenir. Mais est-il prêt, ou même fait pour la démocratie ?

 

L?Irak, un état édifié au mépris de la réalité des peuples.

 

Il est avant tout essentiel d?expliquer l?Histoire et l?identité de l?Irak pour comprendre les enjeux actuels.

 

Le territoire irakien actuel correspond en gros au berceau de la florissante civilisation mésopotamienne. C?est au bord de l?Euphrate que l?écriture a été inventée en ? 3000 avant JC. Ce territoire appartient successivement à différents empires, notamment à l?empire ottoman du XIIIè au XIXè siècle. Au début du siècle dernier, les accords franco-britanniques Sykes-Picot dépècent secrètement le Moyen-Orient avec l?assentiment de la Russie et de l?Italie. Les Français et les Britanniques violent ainsi en cachette les promesses d?indépendances faites aux pays de la région. Le Liban, la Calicie, le nord de la Syrie et la province de Mossoul reviennent aux Français, la Mésopotamie, le Koweït, la Jordanie et la Palestine aux Britanniques, sous la forme de protectorats ou d?administrations directes. Les pays concernés découvrent le pot aux roses mais ne peuvent s?y opposer. Ce Traité Sykes-Picot est une des causes des tensions persistantes que connaît la région jusqu?à aujourd?hui. La France et le Royaume-Uni portent donc une responsabilité historique originelle écrasante, mais qui s?en étonnera ? Rien qu?au XXè siècle, ils imposent de nombreux traités comme autant de germes de conflits futurs (notamment quelques années plus tard le Traité de Versailles).

 
L?Irak devient indépendant en 1932 sous la forme d?une monarchie sous tutelle britannique, mais celle-ci est renversée peu après par un coup d?état, suivi par beaucoup d?autres. En 1979, Saddam Hussein prend le pouvoir. L?Irak est alors toujours cet état hétéroclite et, disons-le d?emblée, artificiel, composé de trois communautés différentes : les Arabes Sunnites, les Arabes Chiites et les Kurdes, auxquels on peut ajouter des minorités diverses, notamment chrétiennes.

Dans ce contexte, Saddam Hussein met en place un régime de fer et règne en maître avec ses proches. Le parti du pouvoir s?appelle Parti Baas (« renaissance »), c?est un parti socialiste arabe. Il est important à ce stade d?insister sur les relations fructueuses et étroites entre Saddam Hussein et sa bande, et les responsables politiques, diplomatiques et commerciaux français des années 70 aux années 90, afin de bien comprendre pourquoi le Raïs s?est tellement inspiré du modèle français dans ses institutions. La France et l?Irak entretiennent des relations stato-commerciales des années 70 aux années 90 (vente d?armes [qui est d?ailleurs la deuxième activité commerciale de la France], nucléaire, pétrole, etc). Dans les années 70 et 80, Jacques Chirac appelle à de nombreuses reprises Saddam Hussein sont « ami personnel », et en cela il ne ment pas : il l?invite le week-end dans sa résidence personnelle ! C?est le seul leader occidental à connaître personnellement l?Irak et son leader. Il est le seul à s?y rendre, en 1975, comme Saddam Hussein n?ira que dans une seule capitale occidentale : Paris. C?est à partir de cette époque que les Américains et les Britanniques surnomment l?homme d?état français « Jacques Iraq ». Pour l?anecdote, Jean-Marie Le Pen, autre ami de Saddam Hussein, parle de nation « civilisée », « moderne », et « laïque ». En fait, en civil comme en militaire, la France est ni plus ni moins que le 2è partenaire commercial de l?Irak derrière l?Union Soviétique.  La France vend 2 réacteurs nucléaires, dont 1 dédié à la recherche scientifique nucléaire irakienne. Pire, la France forme 600 techniciens et scientifiques irakiens ! Et l?uranium vendu est enrichi à 93%, assez pour se doter de 3 à 4 armes nucléaires ? Le réacteur français est d?ailleurs détruit préventivement par l?aviation israélienne en 1981. Avec l?arrivée au pouvoir des socialistes français, ces relations commerciales et diplomatiques continuent jusqu?à la première Guerre du Golfe (notamment nombreuses ventes d?armes), et même au-delà (ventes d?avions et de missiles dans les années 90 notamment). Saddam Hussein connaît donc très bien le régime institutionnel français avant et pendant son règne. En toute logique, celui mis en place en Irak est caractérisé par : le centralisme, un état omniprésent et un système pyramidal, des régions purement administratives et sans pouvoir, la laïcité qui, au-delà de la neutralité religieuse, va jusqu?à l?ethnocentrisme (il est sunnite, mais là notons que l?ethnocentrisme français s?oppose par sa volonté d?assimilation tous azimut), la non-séparation des pouvoirs, le manipulation par l?Histoire (Hussein se dit descendant de Saladin), la corruption au plus haut niveau de l?état dans un contexte d?absence de contre-pouvoirs. Mais alors que la France connaît une certaine démocratisation (fin du pouvoir gaulliste, construction européenne, libéralisation certes relative des médias, tentative même avortée de décentralisation, rattrapage partiel du retard dans l?égalité hommes-femmes, abolition de la peine de mort, etc), Saddam Hussein lui, dans un état sans expérience politique stable propre et sans cohérence ethnique ou religieuse, installe une véritable dictature : répression politique, corruption, presse non libre, détentions arbitraires, etc. Parallèlement, il modernise considérablement l?Irak, l?enrichit, élève le niveau de vie comme aucun pays de la région. L?Irak est alors le seul pays où une véritable classe moyenne émerge. Ce développement profite uniquement aux Sunnites, pendant que les Chiites et les Kurdes, dont les territoires renferment des réserves naturelles considérables, sont cruellement opprimés. Il y aura même des gazages à l?arme chimique de villages kurdes entiers.  Dans le même esprit, Saddam Hussein satisfait ses penchants impérialistes : il impose une longue guerre Iran-Irak qui se finit sans vainqueur ; battu en 1991 après avoir tenté d?annexer le Koweit, il ne doit son salut qu?au renoncement des alliés à aller jusqu?à Bagdad pour le renverser. Mais l?embargo international qui suit frappe tragiquement les populations.

 

La démocratie ne se décrète pas par un état ou une assemblée, elle se conquiert par un peuple.

 

Les Américains, les Britanniques et leurs alliés envahissent l?Irak en 2003, faisant chuter rapidement le Raïs et ses partisans. Mais s?installe alors un climat de peur et d?ultra-violence, une guerre civile larvée sur fonds de terrorisme et de contexte régional tendu. Pour donner une idée, plus de 1.000 personnes sont victimes de meurtres en avril 2006 rien qu?à Bagdad. Ce week-end a été particulièrement meurtrier, et ce sont dans tous les coins d?Irak que des gens sont morts abattus ou victimes d?attentats.

C?est dans ce contexte que des élections libres sont organisées, les premières depuis 1953. Ces législatives ont lieu le 15 décembre 2005, et des partis kurdes, sunnites et chiites sont élus. Le Parlement peut alors commencer son travail. Pendant ce temps, le procès de Saddam Hussein traîne en longueur : le dictateur déchu conteste la légitimité du tribunal spécial, les témoins n?osent pas venir au procès, le président du tribunal a changé, etc.

Au niveau des institutions, les choses avancent cahin-caha. Concernant la population, la situation est la suivante : les Sunnites, au centre du pays, sont inquiets pour l?unité « nationale » mais aussi pour la répartition des revenus du pétrole, une manne essentielle dans une économie ravagée par l?embargo, la guerre et les troubles.  Les Chiites au sud sont soutenus par l?Iran voisin. Les Kurdes au Nord sont les seuls à ne pas demander le départ des Américains, car c?est la garantie de leur autonomie, une autonomie de fait depuis 1991 et les interventions de l?US Air Force. Chiites et Kurdes vivent au-dessus de réserves naturelles considérables. Pragmatiques, ils conjuguent leurs efforts pour contrer les tenants d?un Irak unifié, pour eux symbole d?oppression ethnique et économique.

Les Américains, dont la présence leur coûte cher en vies humaines, en dollars et en crédibilité, engendrant une lassitude grandissante de l?opinion US, veulent aujourd?hui amener les Irakiens à se doter d?un régime démocratique stable et viable. Un Comité de rédaction de la constitution irakienne voit le jour en 2005. Sa mission est délicate, car que choisir ?

 

-         un régime centralisé ou un régime fédéral ?

-         Un régime laïque ou un régime religieux ?

 

Une Constitution est adoptée par référendum le 15 octobre 2005. Elle établit un compromis sur la religion, mais aussi sur le pétrole dont les revenus seront équitablement distribués entre chaque province ; mais il existe des imprécisions totales sur ce dernier thème, ce qui inquiète les Sunnites. Des dispositions sont aussi prises concernant les droits des femmes, la liberté de religion et les principes démocratiques. Enfin et surtout, on fait le choix du fédéralisme, un choix sur lequel il faut s?interroger quant à son objectif de maintien de l?unité irakienne.

Arrêtons-nous un instant sur le fédéralisme. C?est un modèle politique consistant à diviser un territoire en différents états jouissant d'une plus ou moins grande autonomie. L'Etat fédéral s'oppose au modèle d'Etat centralisateur où les différentes régions ne sont que des simples subdivisions administratives. La Belgique, l'Allemagne, l'Inde et sa longue tradition parlementaire, le Canada, les Etats-Unis, le Brésil, l?Australie, l?Autriche et la Suisse dont les cantons sont responsables notamment de la fiscalité et de l'éducation sont tous bâtis sur le modèle du fédéralisme, alors que le Royaume-Uni, l?Espagne et l?Italie ont mis en place des réformes allant dans ce sens. En fait, la quasi-totalité des démocraties du monde ont des évolutions clairement fédéralistes ; et quand ce n?est pas le cas, c?est soit parce que, le pays étant de petite taille, l?organisation fédérale n?est pas nécessaire pour atteindre un niveau de démocratie élevé (cas de beaucoup de pays européens), soit parce que la tradition démocratique est encore récente et/ou légère (Grèce, France, Maroc, Japon?).

Vivement intéressée par tous ces exemples démocratiques, une délégation irakienne, composée de 23 parlementaires, fonctionnaires de justice, membres de partis politiques et représentants de la société civile, après avoir visité le Canada, avait été invitée par le gouvernement suisse en février dernier pour s'informer sur les particularités du système fédéral helvétique. Celui-ci, datant de 1848, est en effet un modèle de stabilité politique appliqué à un pays multiethnique. Ayant effacé 80% de la dette irakienne, l?aide humanitaire suisse s?illustre particulièrement dans les domaines de l'eau et de la santé. Le petit pays organise également des cours de formation pour des diplomates et des fonctionnaires irakiens, et un expert suisse en droit constitutionnel a été envoyé en Irak  en 2005 (à rapprocher des centaines de personnes formées par la France en matière nucléaire et militaire, chacun sa spécialité visiblement !). Mais revenons à la délégation irakienne. Elle s?était notamment rendue dans le Jura pour s'informer de la manière dont ce canton est né pacifiquement par sécession d'avec Berne. Une députée irakienne chrétienne avait aussi noté : «Nous avons constaté que le Canada et la Suisse traitent les mêmes questions, mais de manière différente. Pourtant, les processus sont couronnés de succès dans les deux pays.».  L'ambassadeur Suisse Thomas Greminger avait enfin souligné qu'il n'était pas question «d'exporter le fédéralisme suisse». «L'idée n'est pas de vendre le modèle helvétique, mais de proposer des idées et de faire en sorte que grâce à cela un nouveau modèle d'Etat puisse voir le jour dans un contexte politique et culturel différent.»

 

Cette coopération internationale est intéressante, mais j?ai quand même des doutes. Je suis un fédéraliste convaincu et je n?aime pas le centralisme, mais n?y a-t-il pas un risque de comparer l?Irak avec la Suisse et ses 200 ans de tradition démocratique où n?importe quelle autre démocratie occidentale bien ancrée et dont les réalités historiques, culturelles et sociales sont stables et radicalement différentes ? Alors que si la communauté internationale laisse les Chiites  irakiens se rapprocher des Chiites iraniens, elle risque de renforcer une dictature islamiste rétrograde et barbare qui, rappelons-le, cherche à se doter de l?arme nucléaire. Quant aux Kurdes, leur laisser un état indépendant ne risque-t-il pas de déstabiliser toute une région allant de la Turquie à l?Iran en passant par la Syrie, l?Arménie et l?Azerbaïdjan, servant de base arrière pour la lutte indépendantiste ? Le Moyen-Orient et le Caucase sont déjà des zones tellement sensibles qu?on risquerait des affrontements ethniques sur fond de terrorisme islamiste, de populisme éhonté des différents leaders et de convoitise des juteux champs de pétrole et de gaz !

 

On le voit, la question ethnique, ou pour mieux dire nationale et même nationaliste est centrale. Elle bloque l?application pure et simple de la démocratie, parce qu?à la base on n?a pas respecté les peuples. La « nation » irakienne,  depuis le début artificielle et imposée, alors que plus tard le Raïs n?a pas cherché à assimiler (ce qu?aurait fait une France du XXè siècle par exemple) ni n?a réussi à exterminer ou mater les non-Sunnites, la nation irakienne donc reste à construire, si tant est qu?il soit judicieux de construire une nation ex-nihilo. Car le prix n?en est-il pas trop élevé ? La Yougoslavie, cette chimère étatique construite au mépris des identités ethniques et religieuses, a coûté bien cher (guerres, massacres divers, assimilations forcées, génocides humains et culturels?), on voit alors mal comment l?Irak pourrait durer alors que s?y superposent des facteurs de déstabilisation comme l?islamisme, le pétrole et les rivalités des grandes puissances de la région. Notons que cette situation bouillante ne serait pas arrivée si des états comme le Royaume-Uni et la France avaient respecté les réalités nationales existantes! Et des réponses comme la « nationalisme » pan-arabe ou l?islamisme ne sont-ils pas en réalité des internationalismes au même titre que le nazisme et le communisme ? N?aurait-il pas fallu dès le départ poser le principe du respect de l?intégrité des nations et de la diversité des cultures et des langues, gages de davantage de compréhension mutuelle, de paix et de fraternité?

En attendant, la présence militaire américaine, qui est aujourd?hui l?unique raison pour laquelle tout le monde ne se saute pas à la gorge en Irak, doit être un jour remplacée par un régime irakien avec comme mission première de sécuriser le pays, mais aussi de maintenir l?Irak tout en installant la démocratie. On attend ces jours-ci la formation d?un gouvernement d?union nationale, la date butoir est le 22 mai. Aux dernières nouvelles, M. Maliki, le nouveau Premier Ministre, semble vouloir annoncer, après des mois de négociations, un gouvernement sans les titulaires des portefeuilles disputés de l'Intérieur et de la Défense. Il sera en charge de ces deux postes par intérim jusqu?à ce qu?on trouve une solution de compromis viable. Si on en trouve une.

Le fédéralisme, arrivé si tôt dans un état si jeune, aux origines si controversées, au passé et au présent si lourd et à l?avenir si incertain, va-t-il réussir à maintenir l?unité de l?Irak et à amener la démocratie ? Est-il ce dernier espoir pour un avenir irakien plus heureux et plus libre ? Ou au contraire sera-t-il le coup de grâce pour un pays artificiel? Est-il seulement adapté aux réalités historiques, culturelles et sociales de l?Irak, dont l?identité même bafoue la volonté des peuples concernés ? Alors faut-il à terme passer par une dissolution de l?Irak pour voir enfin s?épanouir la démocratie sur la base des peuples véritables, dans un avenir d?ailleurs plus ou moins lointain? Voici les questions essentielles auxquelles la communauté internationale et les Irakiens vont devoir trouver des réponses, au-delà des égoïsmes et des haines.

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